Elle a pris racine il y a quelques années après la lecture d’un article de presse qui évoquait la création d’un site Web permettant aux internautes d’envoyer des messages que le destinataire recevrait à la date fixée par l’émetteur. Ça pouvait être le lendemain, le mois suivant ou même un demi-siècle plus tard !
J’ai trouvé cette idée très féconde et, à partir de cette hypothèse, j’ai commencé à imaginer l’histoire d’une femme qui venait de se faire quitter par son amant et qui lui envoyait un long courrier qu’il ne devait recevoir que dix ou vingt ans plus tard.
Après être restée un temps en jachère, la trame de l’histoire a beaucoup évolué, mais le terreau initial est resté le même, celui des possibilités romanesques offertes par l’intégration dans nos vies des nouvelles technologies. Dans mes romans, j’ai souvent travaillé sur ces deux matériaux que sont le temps et l’espace, et savoir qu’aujourd’hui, grâce à Internet, nos pensées, nos photos, notre mémoire en somme, peuvent à tout instant être les jouets d’une distorsion du temps et de l’espace, offre au romancier que je suis un infini de possibles.
Votre roman est très ancré dans le monde contemporain tout en s’autorisant une incursion dans le surnaturel.
Plutôt dans le « fantastique », selon la définition qu’en donne Tzvetan Todorov : ce moment d’ « hésitation éprouvé par un être qui ne connaît que les lois naturelles face à un événement en apparence surnaturel ».
C’est sans doute un héritage des lectures et des séries de mon adolescence : des histoires de Stephen King jusqu’aux romans de Richard Matheson (Le Jeune Homme, La Mort et le Temps) et de Ken Grimwood (Replay) en passant par les épisodes de La Quatrième Dimension qui fourmillent d’uchronies et d’univers parallèles !
Mais on retrouve également d’autres références plus cinématographiques, notamment le héros ordinaire « hitchcockien » pris dans un engrenage qui le dépasse ou encore le doute qui peut nous saisir concernant la véritable nature de notre conjoint ou de quelqu’un de très proche. Un thème traité par Hitchcock (Soupçons, L’Ombre d’un doute), mais qui irrigue aussi certains films de Barbet Schroeder qui ont marqué ma jeunesse comme Le Mystère von Bulow ou J.F. partagerait appartement.
Demain est aussi un roman sur le grand amour et ses excès.
Une question traverse en effet le roman : vers quoi le grand amour peut-il nous faire basculer ? Jusqu’à quels excès peut-il nous conduire ? C’est aussi une histoire sur les apparences au sein du couple et sur les doutes que l’on peut avoir sur la personne qui partage notre vie.
Emma, mon héroïne, jeune sommelière new-yorkaise, est tombée amoureuse de Matthew, un professeur de philosophie d’Harvard qui forme avec sa femme un couple en apparence idéal, bénéficiant d’une position sociale enviable, propriétaire d’une belle maison à Boston, parents d’une adorable petite fille…
C’est en enquêtant sur ces gens qu’elle idéalise qu’Emma va mettre au jour des secrets qu’elle n’aurait jamais dû découvrir et mettre sa vie en danger.
À partir de là, le roman bascule dans un suspense psychologique complexe. Vous manipulez tour à tour les personnages et le lecteur en variant les points de vue et les faux-semblants. Mensonge et apparences tiennent un rôle majeur…
J’ai en effet voulu construire cette intrigue comme une traque au cœur de l’intime, portée par des personnages dont la nature véritable va évoluer au cours de l’histoire et se révéler progressivement. Des personnages constamment tiraillés entre leur part sombre et leur part plus lumineuse.
Si l’on retrouve certains des thèmes qui me sont chers, la nouveauté de ce roman tient à ce que l’on s’installe encore davantage dans la psychologie des personnages, leurs motivations, leurs peurs et leurs angoisses. C’est peut-être le roman que j’ai pris le plus de plaisir à écrire parce que c’est celui dans lequel mes personnages se mettent eux-mêmes le plus en danger.
Malgré la tension, l’humour se mêle souvent au suspense…
Oui, notamment grâce à une galerie de personnages secondaires que j’ai eu plaisir à croquer, qui enrichissent l’histoire par leur diversité et y apportent de l’humour et de la fantaisie. On croise notamment un homme d’affaires charismatique et mystérieux à mi-chemin entre Steve Jobs et Mark Zuckerberg, une galeriste d’art touchante et délurée et un jeune hacker français en rupture familiale qui va former avec mon héroïne un drôle de couple d’enquêteurs amateurs.
J’aime écrire des romans hybrides, à cheval sur plusieurs genres et, dans un roman à suspense, l’humour est nécessaire pour ménager des pauses et des moments de répit dans le crescendo angoissant de la tension.
Enfin, un autre « personnage » a aussi son importance : il s’agit de la région de Boston dans laquelle se déroulent les trois quarts du roman.
Oui, et ce n’est pas un hasard. Boston est à la fois le berceau de l’Amérique, des grandes universités et des centres de recherche, situés à Cambridge comme Harvard – où est né Facebook – et le MIT, qui est une sorte de laboratoire du futur pour tout ce qui concerne les sciences et les technologies.
Le fait que cette métropole constitue ce pont symbolique entre le passé et le futur fait écho au thème de mon roman et lui offre un écrin presque naturel.